‘Sur la vie à l’ère d’une pandémie’ par Jeremy Fernando, traduit par Pavan Mano

Sur la vie à l’ère d’une pandémie

Sara Chong, Today is an egg, 2020

 

Giorgio Agamben essaie de ne jamais nous permettre d’oublier que rester en vie n’est pas tout à fait la même chose que vivre. [1] Et bien qu’il ait été largement ridiculisé pour avoir assimilé le nouveau coronavirus à une grippe commune, son argument selon lequel il y a une différence entre vivre et simplement rester en vie ne devrait pas être écarté. Car, même si la contagiosité du coronavirus signifie que nos vies ont dû changer radicalement pour qu’on puisse survivre, le fait que la distanciation sociale est devenue l’ordre du jour, en nous obligeant à renoncer à bon nombre de nos rituels sociaux, suggère — puisque notre habitus est façonné par et formé à partir de nos habitudes — que le sens d’« être humain » soit en train d’évoluer ou de se remodeler.

Dans ce sens, alors même que Slavoj Žižek semble critiquer Agamben — « ne pas se serrer la main et s’isoler au besoin EST la forme de solidarité d’aujourd’hui » [2] — ce serait une erreur de le lire comme une affirmation antonyme.

Car, nous devons aussi garder à l’esprit le beau rappel de Jean-Luc Nancy selon lequel il nous faut d’abord de l’espace pour pouvoir toucher.

Pas trop loin, mais pas trop près non plus :
et où peut-être ce dont nous avons besoin c’est de créer une distance correcte entre nous.

Car, comme la regrettée grande Anne Dufourmantelle continue de nous apprendrer : « être complètement vivant est une tâche, ce n’est pas du tout une chose donnée. Il ne s’agit pas seulement d’être présent au monde, c’est aussi d’être présent à vous-même, d’atteindre une intensité qui est en soi une manière de renaître ». [3]

Et, où peut-être la tâche à accomplir est de découvrir comment nous pouvons maintenir le social — invoquer le « nous » — tout en restant physiquement distants.

 

Remarques :

[1] https://ilmanifesto.it/lo-stato-deccezione-provocato-da-unemergenza-immotivata/

[2] http://thephilosophicalsalon.com/monitor-and-punish-yes-please/

[3] Anne Dufourmantelle, ‘The Ideology of Security’, conférence publique à l’European Graduate School, (août 2011): https://www.youtube.com/watch?v=8SMwkpRWZ0Y&feature=emb_title

 

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Ce texte a d’abord été publié en anglais sous le titre ‘On living in the age of a pandemic’ dans la revue positions. Voir http://positionswebsite.org/jeremy-fernando-on-living-in-the-age-of-pandemic/

Je tiens à remercier mon ami, Daniel Chan, sous-directeur et professeur de français au Centre for Language Studies à l’Université nationale de Singapour, pour avoir relu une première version de cette traduction.

 

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Jeremy Fernando lit et écrit. Titré Jean Baudrillard Fellow à l'European Graduate School et nommé éditeur général de Delere Press et du magazine thématique One Imperative, il est en poste comme maître de conférence et Fellow à Tembusu College de l'Université nationale de Singapour, où il analyse les intersections entre la littérature, la philosophie et les médias.

Sara Chong est une peintre de Singapour.

Pavan Mano est doctorant au département d'anglais du King's College London. Il travaille sur les croisements entre la langue, la culture et le pouvoir. Ses recherches portent actuellement sur la force du nationalisme et ses différents inconvénients.

 

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